L ’ Y-PRÉSENCE
Parcours artistique de 14 structures Hotspots et une installation dans une grotte L’y - présence
RÉSIDENCE PRISME - Artigues - prés - Bordeaux - BAM Projects - Bordeaux Métropole 2023/24
Le droit au paysage pour tous-tes les vivant-es
Artigues , ville périphérique de la métropole de Bordeaux, s’inscrit dans un tissus urbain dense entre Rocade, Nationale et Autoroute. Elle s’est développée dans les années 70/80 avec un nombre croissant de construction d’habitats pavillonnaires. À l’environnement naturel plutôt rural s’est substitué un environnement intrusif, répétitif et anonyme parsemé d’un patrimoine architectural constitué de cinq domaines avec château.
Le paysage naturel est devenu rare, parsemé entre les parcelles bâties, et apparait actuellement sous forme de vestiges en lieu et place de parcs de châteaux, prairies et terrains viticoles. L’accès pour les habitants à la terre de manière libre en a été ainsi réduit les privant du lien au lieu et au milieu.
Face à la solastalgie , ou éco-anxiété, qu’éprouve de plus en plus d’êtres humains, il y a urgence à revaloriser le patrimoine « vert » et « vivant » en offrant plus de proximité, d’intimité et de partage afin de continuer à cultiver des possibles pour notre futur à tous.
L’intervention artistique dans l’espace extérieur de la commune offre la possibilité de contempler et de s’unir avec le paysage environnant restant . Dans ces « ruines » végétales, nous pouvons observer plus attentivement les autres vivants, nos co-habitants, si précieux dans un écosystème déclinant et menacé à l’ère de l’anthropocène. Le projet consiste à montrer le nécessaire respect de leur mode de fonctionnement, de leur territoire, notre territoire commun.
L’ oeuvre installée dans l’espace naturel se mue en médiatrice entre les humains, le paysage et l’ensemble des vivants qu’il soit végétal ou animal, et devient un authentique espace démocratique. Elle met en valeur les dons offerts par la nature, ceux partagés par tous en tissant des liens entre les habitants au fil du temps, alliant ainsi passé, présent et futur de manière durable. Elle nous oblige à repenser notre façon d’occuper la Terre en effaçant les frontières entre les niches, les territoires, les occupants, en diluant les notions d’espaces intérieurs et extérieurs, en subissant les évènements climatiques et le passage du temps. L’oeuvre nous ouvre enfin les yeux face à une cécité sociale généralisée, éveille nos sens , les développe et les aiguise en nous rappelant notre dépendance à la Nature et aux autres vivants. Le déclin ou l’isolement d’une espèce entraine une rupture dans ces inter-relations avec les autres affaiblissant l’ensemble y compris l’être humain. Il s’agit de montrer cette inter-dépendance en proposant une oeuvre transitoire, provisoirement ancrée dans la matière et qui s’unirait au monde pour en montrer ses palpitations devenues quasi invisibles à la majorité d’entre nous.
Il y a nécessité à « entendre la Terre » comme le clame le géographe Augustin Berque ,qui emprunt d’une certaine philosophie japonaise proche de la Nature, incite, en développant son concept de Mésologie, « à garder les pieds sur la Terre - la planète - et sur une terre - un territoire singulier- pour ne plus mettre en danger l’existence même de l’humanité sur notre planète ».
Il y a urgence à se « re-terrestrer », se ré-ancrer dans le concret en cultivant les relations à son milieu, entre les choses, entre les humains et non humains.
Il a urgence à sortir du concept binaire qui ne permet pas de saisir le monde tel qu’il est vécu concrètement, se débarrasser de cette organisation sociale, de ses représentations qui ont émergées au 16 eme siècle avec l’expansion du capitalisme colonial et l’avènement des épistémologies raciales et sexuelles. Un monde qui dépend des énergies fossiles hautement polluantes et responsable du réchauffement climatique , un monde ou l’on a classifié les êtres vivants de manière scientifique par espèce, races, sexe . L’ère « pétro-sexo-racial » selon Paul B. Preciado, ne peut nous mener qu’à notre perte.
Il y a urgence à changer de paradigme et d’instaurer un droit au paysage pour tous-tes les vivant-tes.
Cheminement de visibilité du vivant
Le parcours proposé se présente sous forme d’ un cheminement de visibilité du vivant et de la nature dans son ensemble . Il est ponctué de sculptures et aboutit à un espace sanctuarisé naturel montrant de manière ostentatoire ce qui doit être tenu comme sacré dans notre monde passablement brumeux. L’idée est d’aménager le territoire en créant des liens entre nature et culture, entre humain-e et non-humain-e, entre visible et invisible. Il s’agit de susciter une certaine méditation "ici et maintenant", de se couper de tout espace numérique ou virtuel , pour ressentir « L’ y-présence », présence concrète, qui permet l’exaltation du lieu et du moment.
Quatorze structures architecturées en bois et végétaux , tels des hotspots sauvages présents dans des zones blanches et désurbanisées, sont fixées à des arbres remarquables , sages parmi les sages, pour leurs fabuleux pouvoirs communicants, communautaires et inter-générationels .Chaque sculpture de forme volontairement ouverte devient un bastion, un point d’ancrage mettant en relation un milieu et des vivants, et s’offre comme un espace de re-connexion propice aux échanges, un hub symbolique de réconciliation. Sept « stations » sont placées en haut du site et sept en bas du parcours .Elles deviennent des lieux à haute concentration en biodiversité , éclairent et aiguisent notre conscience du vivant et notre place à tenir face à une nature abimée qu’il faut sauver . Le traitement des surfaces fait de crépis « ton pierre » , briquettes de parement et autre lasure reprend celui usité dans les nombreux lotissements pavillonnaires jouxtants les parcs de la commune . À l’extérieur des peintures à motifs végétaux, rappelant certains papiers peints, accentuent cette volonté de rompre avec les notions du dedans/dehors instaurées dans les habitations traditionnelles, et, invitent à repenser notre rapport à l’espace en respectant l’espace de nos cohabitant-es. Ce recouvrement pictural fait également échos aux ombres portées crées par les arbres environnants, reflets éphémères de l’instant présent.
De structure en structure, nous éprouvons le territoire. Notre exaltation, notre sensibilité et notre présence au lieu s’affirment et nous guident à mi chemin vers un espace ultime, plus intime offrant contemplation et méditation. La grotte du bois devient sanctuaire hautement symbolique, une zone protégée et protectrice mettant en exergue une nature à l’oeuvre qu’il faut rendre permanente et intangible. À l’extérieur les strates visibles de la formation de la couche terrestre, à l’intérieur en continuité de la « grande Nature », une « petite Nature » emprunt de paysage forcent notre regard singulier, au respect . Le mouvement de la marche qui pousse à la réflexion est interrompu , le-a promeneur-se peut s’arrêter un instant, stopper sa déambulation et en changeant de temporalité prendre la mesure de son impact sur l’environnement et son rapport aux autres vivant-es .
Une éclatante lumière irradie de la grotte mettant en exergue le caractère sacré des éléments en présence.
Chacun-e dans l’instant concret du moment unique fait l’expérience d’un cheminement intérieur qui le mènera à se « re-terrestrer » autrement dit à se re-situer dans son milieu qui est aussi celui des autres vivant-es tout aussi respectables et indispensables à l’équilibre de tous.
Karinka Szabo-Detchart
L’y-présence , mars 2024.