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DSC00494KarinkaSzaboDetchart©2023.JPG

Des noirs charbonneux ont envahi la chapelle blonde. 

Des branches, des écorces, des racines, des touffes d’herbes calcinées. 

Çà me submerge au moment où je pénètre dans le lieu, en ce début de montage de l’exposition. 

Les débris, vestiges, lambeaux de ces corps brûlés, épars au sols où dans des seaux, réveillent des sentiments ambigus entre la peur, le trouble, l’urgence.

Je sais à nouveau les forêts girondines dévastées par les incendies pendant tous ces mois d’été. 

Collectés sur place par Karinka Szabo-Detchart et Mehdi Melhaoui les voilà « déracinés » dans cette architecture, ancien lieu de culte, déplacés ici pour une adresse à soi même, à l’autre qui est soi même, un recueillement ? 

  

Depuis le jardin de la Chapelle quelques particules calcinées sont portées par des tiges d’acier entrecroisées, ogives linéaires qui de bonds en rebonds entre terre et ciel viennent comme percer le mur de l’architecture pour s’y déposer.  

Fragments, restes, qui viennent s’abriter se réfugier dans ce lieu bâti par les hommes pour un culte : reliques d’un monde détruit?

 

Dans le choeur de la chapelle, lieu de célébration deux « Mégalithes » en dialogue, signes dressés.  

L’un de Mehdi Melhaoui, compact et obscur tant qu’on ne s’en approche pas, puis en creux et bosses granuleuses, qui dans ce contexte peut apparaître comme une énorme tranche de terre brûlée enfermant une racine non moins gigantesque, qui viennent dominer un humain renvoyé à une place toute relative dans ce monde.  

Le deuxième de Karinka Szabo-Detchart, planche de bois, encrée de noir en la moitié qui fait face, porteuse de branches comme des arbres, peut être perçue comme une tranche de forêt ravagée de l’incendie, dont le sous-sol serait intact. Corps verticalisé à l’échelle de nos corps, elle interroge le regard qui ne peut faire face sans être menacé d’un coup de griffe.

Des branches ont été pansées de fils rouges, greffées de particules de bois, rythmées de scarifications. Promesse d’une nouvelle peau comme lorsque les encres noires fluides viennent rafraîchir, unifier, densifier, certains noirs brûlés des incendies. 

Certaines s’appuieront les unes sur les autres, s’épauleront, d’autres seront soutenues des murs. 

Des racines reçoivent des morceaux de granit, d’autres sont associées au marbre blanc parfois répandu au sol. Elles sont « humanisées » ou « animalisées » par nos yeux parce qu’aussi séparées à tout jamais de leurs organismes détruits. 

Quelques socles, comme un jeu de construction en rondelles de marbre, contrent toute idée de stabilité, portent hors sol des bois brûlés relevés à la verticale. A moins que ça ne soit ce presque rien d’un fragment de racine porté au rang de sculpture par une simple tige métallique : Coeur de charbon.  

Une réversibilité des végétaux, arbres, roches qui viennent par le jeu de l’anthropomorphisme alerter sur la vulnérabilité de notre humanité. 

Des humains comme des arbres, comme des pierres, comme des herbes, comme des racines comme des humains.  

Recueillir puis redresser les corps morts, les isoler chacun en leur organicité pour les exhiber avec économie hors des lieux du drame, les porter vers le vivant. En écho la résistance de cette feuille née d’une branche gracile issue d’une trace de charbon de bois. 

Une pensée sensible des deux artistes associés, face aux catastrophes et à la peur qui peuvent paralyser. Un encouragement à dépasser son propre désarroi en même temps peut être que l’occasion offerte d’une déploration collective. 

 

 

Les photographies de la forêt brulée de Karinka Szabo-Detchart, Reflet  Du Chaos, sont à la limite du visible, entre obscur et clarté trop forte, entre ces deux extrêmes qui peuvent évoquer les risques inhérents aux tragédies de notre époque : surexposition de l’instant auquel succède l’enfoncement dans l’oubli. 

Peut-être pour lutter aussi contre cette volatilité de la pensée elle propose dans l’axe central deux grands abris noirs, cylindres hauts et étroits de tissus épais opaque qui offrent un retrait temporaire, enveloppant, une pause de douceur et chaleur, comme une caresse des éléments du règne végétal pour l’une alors que l’autre est consacrée au règne animal : Capsules de reconnexion.  

 

L’immersion dans l’exposition, oblige un retour sur soi, sur notre pensée à propos de cette « nature »  habitée, envahie, construite de part en part, ce que relèvent d’autre œuvres de ces deux artistes militants.  

 

Claire Paries 

Exposition Que reste-t-il? janvier 2023

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